K comme Kyudo
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Indissociable de l’esprit du Zen, le Kyudo est bien plus qu’un sport.
C’est un art martial qui compte parmi les plus nobles et les plus exigeants.
La Voie d’une vie.
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Originaire du Japon et issu du Budo (la Voie du guerrier ou l’art des samouraïs), le Kyudo – qui est devenu aujourd’hui un instrument de réalisation et d’harmonie – signifie « La Voie du tir à l’arc ». La Voie est l’essence du Zen. Une méthode de vie.
« Elle permet de découvrir réellement sa propre nature originelle, de s’éveiller du sommeil de l’ego endormi (notre moi étriqué) et d’atteindre la plus haute et la plus totale des personnalités », explique Taisen Deshimaru (1), Maître, aujourd’hui disparu, qui a contribué à faire connaître le Zen en Occident. Le Kyudo est une méditation en mouvement ou Ritsu Zen, un Zen debout. Comme pour tous les arts martiaux, il s’agit moins de concourir que de trouver la paix ultime, le silence intérieur et la maîtrise de soi. D’unir dans un juste équilibre le corps et l’esprit, lié par le souffle. Se fondre dans l’instant présent pour accéder à la réalité ultime et renaître…
« L’art du tir à l’arc ne consiste nullement à poursuivre un résultat extérieur avec un arc et des flèches (à la différence de l’archerie en Occident, ndlr), mais uniquement à réaliser quelque chose en soi même », explique Herrigel – philosophe allemand venu au Kyudo – dans son fameux livre, « Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc » (2). Un livre initiatique à mettre entre toutes les mains !
Un art exigeant
D’une beauté extrême, le kyudo peut séduire les Occidentaux en mal de « zenitude ». Il ne faut cependant pas oublier que c’est un art difficile. Le travail d’une vie. « En Occident, les arts martiaux, si en vogue, sont devenus un sport, une technique, sans l’esprit de la Voie », regrettait déjà Taisen Deshimaru. Dans son livre (1), il relate une anecdote. De nombreuses personnes sont venues lui demander durant combien d’années devaient-elles faire zazen (méditation assise, partie intégrante de la Voie). Sa réponse fut éloquente et peut effrayer plus d’un amateur de vogues éphémères : « Jusqu’à votre mort ».
Il est vrai que dans notre société, qui voue un culte à la vitesse, à la versatilité et à la compétition, un apprentissage d’une vie tourné vers l’harmonie de soi-même avec les autres, dans un respect le plus total, semble impensable… Jean-Pierre Vlasselaer, Président de l’association belge de Kyudo (Zen Belgian Kyudo Renmei) – la seule qui soit reconnue au niveau belge par la Fédération japonaise de Kyudo, la Zen Nihon Kyudo Renmei – corrobore : « Cela fait près de 25 ans que je pratique. Parmi mes connaissances, nombreux sont ceux qui me disent : « Tu fais encore du tir à l’arc… » J’en ferai tant que je pourrai en faire ! Dans notre culture du zapping, on ne comprend pas bien cette implication personnelle sur la durée.
Or, pour connaître une discipline – le Kyudo, tout aussi bien que le golf – cela ne peut se faire que sur du long terme, avec une pratique assidue et exigeante », recadre-t-il d’emblée. Jean-Pierre Vlasselaer est 6e dan Renshi. Les Dan, dans les arts martiaux, servent à classifier le degré d’évolution dans la Voie. Avec le titre Renshi, il peut être appelé Sensei ; Maître. « En Europe, il y a environ 2000 pratiquants affiliés. En Belgique, nous sommes près de 70 pratiquants (dont 25 % de femmes), répartis dans 3 dojos : à Bruxelles (le dojo central), à Wavre et à Liège. J’enseigne également à Lille & à Paris, et je participe à des stages au niveau européen, une fois par an », explique-t-il. Il lui arrive régulièrement de faire le voyage jusqu’au Japon, pour recevoir l’enseignement des grands Maîtres proches de l’essence du Kyudo.
Il y a trois temps principaux dans l’apprentissage, où la transmission joue un rôle primordial. D’abord, la période d’entraînement par la volonté et l’effort conscients – où l’élève ressasse la technique, les gestes, la posture jusqu’à ce qu’ils soient justes. La deuxième étape est le temps de la concentration sans conscience (comme quand on a acquis la technique du piano, et que les mains courent « toutes seules »). Durant la troisième période, l’esprit atteint la vraie liberté. « À esprit libre, univers libre », a dit Deshimaru. « Ce n’est pas avec la force physique qu’on tire. L’état d’esprit est détaché de la cible tout en étant reliée à elle, explique Jean-Pierre Vlasselaer. Et cela requiert la justesse d’utilisation du physique, du mental, du souffle. » Tirer à l’arc est un acte total.
Jusqu’au moindre interstice de la vie quotidienne
Une discipline qui ne s’arrête pas une fois la porte du dojo (lieu de pratique) refermée ! L’essence même du Kyudo et de toutes les Voies du Zen (calligraphie, art du thé, ikebana, etc.) est de se propager et de s’infiltrer dans tous les instants du quotidien. Sinon, ce n’est qu’une pratique vide de sens. « C’est à chaque instant qu’il faut être conscient, en se levant, en travaillant, en mangeant, en se couchant.
« La maîtrise de soi se trouve là  », proclame Taisen Deshimaru. Au quotidien, le pratiquant en chemin acquiert davantage d’intuition, de concentration et de paix intérieure. « On fait le Kyudo pour faire une personne humaine valable » a dit Tomoji Saito Sensei, un grand Maître de cet art (qui a été Président de la Fédération au Japon). Rei, le respect, est un des piliers du Kyudo. Respect des autres, du Maître, du dojo, du matériel, de la vie. « Cela vous donne un grand sens des responsabilités », éclaire Jean-Pierre Vlasselaer.
« Le combat est avec soi-même et non avec l’autre. » Ce qui ne signifie pas que le pratiquant devienne pour autant aseptique. Le chemin est de tendre vers la justesse : d’agir et d’être. Ce qui fait dire que le but suprême du Kyudo est la Beauté. Non pas au sens occidental du terme ; cette beauté éphémère, plaquée sur les choses et sur les gens. Mais plutôt, d’une beauté immatérielle née – il est vrai, de l’esthétique de la silhouette et de l’équipement-, mais aussi de l’alchimie d’une posture juste, tant intérieure qu’extérieure, et de la confrontation loyale.
Carine Anselme
À lire
- (1) Zen & arts martiaux, Taisen Deshimaru, éd. Albin Michel (coll. Spiritualités vivantes)
- (2) Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, E.Herrigel, éd. Dervy.