Vous avez dit…. BONHEUR ???
Pour vivre pleinement cette saison automnale qui rime souvent avec baisse de moral, voici un entretien qui va nous faire le plus grand bien ! Christophe ANDRE est médecin psychiatre à l’hôpital Sainte Anne à Paris, spécialiste des troubles anxieux et dépressifs et auteur de nombreux ouvrages, notamment sur la méditation.
Bonheur et adversité : comment concilier deux idées qui, à première vue, paraissent tellement opposées ?
Pour le médecin psychiatre que je suis, cette association n’a rien de surprenant. Dans une vie humaine, il y aura certes des moments de joie et de bien-être, mais obligatoirement associés, tôt ou tard, à des épreuves. Si on pense son bonheur, sa joie, comme des espérances d’être protégés de la souffrance ou de l’adversité, c’est une erreur. L’un va avec l’autre, comme la lumière va avec l’ombre. Le bonheur n’est pas là pour empêcher le malheur, il est fait pour nous donner la force de lutter, de redémarrer après le passage de l’adversité. Pour reprendre les mots de Paul Claudel : « Le bonheur n’est pas le but, mais le moyen de la vie. »
Jumeler bonheur et adversité, n’est-ce pas éluder les temps de tristesse et de deuil nécessaires lorsqu’on traverse une épreuve ?
C’est là un point essentiel ; je souligne dans mes livres que le bonheur est un sujet tragique ! L’idée du bonheur n’est pas de nous empêcher d’être tristes, mais de faire que l’on ne se noie pas dans notre tristesse. Que cette tristesse soit une étape, et non pas une destinée ou un état statique.
Comment pourrait-on définir le juste équilibre émotionnel ?
En psychologie des émotions, on constate que l’équilibre émotionnel n’est pas être à 100 % dans des émotions positives ; c’est ressentir environ 75 % d’émotions positives et 25 % d’émotions négatives. Il est normal, dans notre fonctionnement psychique, d’éprouver régulièrement de la tristesse, de l’inquiétude, de l’agacement… Ces émotions ont une fonction : elles attirent notre attention sur ce qui ne va pas dans notre vie. L’essentiel est de comprendre ce que cette tristesse, cette émotion, cherche à nous dire. Une fois le message compris, ne pas « mariner » dedans, afin de pouvoir passer à autre chose.
Quelles ressources sont mises en avant, en psychologie positive, pour faire face aux épreuves ?
Il y a tout un tas de petits fils qui, ensemble, tissent une corde assez solide. On peut ainsi pointer le lien social, mais aussi la capacité à vivre pleinement chaque instant ; autrement dit, chaque minute peut m’apporter de toutes petites joies et je ne cherche pas à savoir ce qu’aurait été ma vie sans l’épreuve que j’ai à traverser. Plus globalement, il y a nos valeurs, comme l’humanisme. Il arrivait dans les camps de concentration que les personnes continuent à déclamer de la poésie, à admirer le soleil couchant…
Bref, à rester en contact avec la dignité et ce qui fait la valeur de la vie humaine.
Quel rôle peut jouer la méditation, que vous avez été l’un des premiers à introduire en psychothérapie, dans cet équilibrage entre bonheur et adversité ?
La méditation de la pleine conscience est une pratique intéressante, parce qu’elle ne nous encourage pas directement à rechercher le bonheur. Elle nous encourage à vivre pleinement instant après instant, dans cette simple intention d’être présent au monde. À ce qui est là … juste à ce qui est là  ; pas au virtuel de mes ruminations, de mes anticipations, grande source de souffrance, surtout en période difficile. Me rendre présent au monde suffit souvent à m’en faire découvrir les aspects merveilleux et à me rendre heureux. Cet acte de présence au monde va aussi me mettre en contact avec ma souffrance, mais de manière réaliste ; je vais être présent au problème, seulement au problème, et pas aux débordements, aux excès de souffrance que construit notre cerveau. La méditation nous aide à mieux saisir la frontière entre le réel et le virtuel.
Dans votre quotidien très chargé, parvenez-vous à entretenir ce feu intérieur, cette joie ? Êtes-vous un cordonnier bien chaussé ?
Je suis un cordonnier aux pieds fragiles qui prend soin de ses chaussures (Rire) ! Je ne suis pas très doué pour le bonheur. J’ai des tendances anxieuses et dépressives, comme beaucoup de monde. Ce n’est évidemment pas un hasard si je me suis intéressé aux souffrances psychiques et à leur prévention. Je suis le premier utilisateur de toutes les méthodes que je conseille à mes patients.
Entretien réalisé par Carine AnselmeA lire :
- Méditer jour après jour (L’iconoclaste, 2011)
- Les États d’âme (Odile Jacob, 2011)